Sfincione bagherese : la focaccia blanche reine de Bagheria

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Ceux qui visitent la Sicile occidentale, et en particulier la région de Palerme, peuvent tomber sur un plat qui, plus que d’autres, raconte l’histoire et l’identité d’un lieu spécifique : le sfincione bagherese. Il s’agit d’une focaccia haute et moelleuse, sans sauce tomate et assaisonnée d’ingrédients simples mais bien calibrés : oignon, tuma ou ricotta fraîche, anchois et un généreux saupoudrage de chapelure assaisonnée. Le résultat est une pâte parfumée et aromatique qui incarne des siècles de tradition et de savoir populaire.

Le sfincione bagherese n’est pas une simple variante du sfincione de Palerme, plus connu, mais représente une identité autonome. Il est si étroitement lié à la ville de Bagheria qu’il est considéré, dans de nombreux cas, comme un « produit d’affection » par ses habitants. Il n’est pas rare d’entendre un émigré baghérien dire que l’une des choses qui lui manquent le plus est cette saveur incomparable qui, depuis des générations, accompagne les fêtes et les grandes occasions.

Les origines du sfincione bagherese : entre histoire et culture

Les racines du sfincione bagherese se confondent avec l’histoire de Bagheria, ville fondée au XVIIe siècle par des familles nobles de Palerme qui s’y réfugièrent et y construisirent les célèbres villas baroques que l’on peut encore visiter aujourd’hui. Dans ce contexte, les cuisiniers de la cour – les « monsù » – ont réinterprété le concept de focaccia déjà présent dans la culture populaire, en l’adaptant aux goûts aristocratiques et aux ingrédients locaux.

C’est précisément cette fusion de la haute cuisine et de la tradition paysanne qui a donné naissance à la recette du sfincione bagherese : une préparation apparemment simple, mais qui requiert attention et habileté. Par rapport à la variante de Palerme, qui se distingue par l’utilisation de tomates et de chapelure, la version de Bagherese est plus délicate, jouant sur l’équilibre entre la douceur de l’oignon étuvé et la saveur des anchois.

La tuma, fromage frais sicilien au lait de brebis, était un ingrédient noble, réservé aux tables les plus raffinées. Au cours des siècles suivants, lorsque la recette s’est répandue dans les classes populaires, la ricotta, moins chère mais tout aussi savoureuse, a également été utilisée. Aujourd’hui, les deux versions coexistent et il n’est pas rare qu’une boulangerie artisanale en propose plusieurs.

Le lien avec les fêtes et la communauté

Au fil du temps, le sfincione bagherese est devenu le protagoniste de moments partagés. La période de Noël reste le moment où l’on en consomme le plus. Le 7 décembre, veille de l’Immaculée Conception, marque symboliquement le début de la saison du sfincione. Autrefois, chaque famille préparait sa « conza » – l’assaisonnement – à la maison, puis l’apportait à la boulangerie du quartier pour la faire cuire sur la pâte. Il s’agissait d’un rituel collectif qui renforçait les liens de voisinage et marquait le calendrier de la communauté.

Cette tradition, bien que partiellement modifiée par l’évolution de la consommation, perdure encore aujourd’hui. De nombreuses boulangeries perpétuent la pratique consistant à préparer le sfincione selon des méthodes anciennes, avec une levée lente et des ingrédients sélectionnés. Il n’est pas rare que les clients commandent leur moule de sfincione à l’avance pour les fêtes, signe tangible de l’enracinement de cette préparation dans l’expérience culturelle de la ville.

Préparation et ingrédients : une recette fidèle au territoire

La recette du sfincione bagherese comporte quelques étapes précises, et chaque détail compte. La pâte, composée de farine de blé dur, d’eau, de levure et de sel, doit lever longtemps pour obtenir sa consistance spongieuse caractéristique. Une fois étalée dans le moule, elle repose pendant la préparation de la conza, le cœur du plat.

Les oignons – généralement blancs, doux et locaux – sont étuvés à feu doux avec de l’huile d’olive extra vierge jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides. Ils sont ensuite mélangés à de la tuma ou de la ricotta, selon la variante, à des anchois à l’huile ou au sel et, dans certains cas, à des olives noires. Le tout est ensuite recouvert d’une grosse mie de pain rassis assaisonnée de fromage pecorino, d’huile et d’origan.

La cuisson se fait idéalement dans un four à bois, ce qui confère à la sfincione une croûte légèrement fumée et un arôme incomparable. Bien que de nombreuses boulangeries utilisent aujourd’hui des fours modernes, les meilleurs d’entre eux parviennent encore à préserver les caractéristiques typiques du produit.

Où manger le véritable bagherese sfincione ?

Pour tous ceux qui visitent Bagheria, le sfincione bagherese est une expérience à ne pas manquer. De nombreuses boulangeries artisanales perpétuent la tradition avec passion et savoir-faire, offrant des moules parfumés prêts à être dégustés chauds tous les jours.

Parmi les boulangeries les plus connues, certains noms sont transmis de génération en génération. Il y a ceux qui travaillent exclusivement avec des farines locales, ceux qui utilisent le tuma produit dans les laiteries locales et ceux qui ont conservé le four à bois comme signe d’authenticité. Au-delà du nom spécifique, ce qui compte vraiment, c’est la capacité à respecter la recette originale et l’amour avec lequel elle est préparée.

Les occasions publiques de découvrir et de goûter cette excellence ne manquent pas : à certaines périodes de l’année, des événements consacrés à la gastronomie locale sont organisés, et le sfincione y joue toujours un rôle de premier plan. Au cours de ces fêtes gastronomiques, il est possible de déguster différentes versions, de comparer les interprétations des différents boulangers et, peut-être, d’emporter un morceau de tradition.

Bien que le sfincione soit aujourd’hui fabriqué tout au long de l’année, certaines périodes restent privilégiées. Outre la période de Noël déjà mentionnée, il est facile de le trouver le week-end ou lors des fêtes religieuses locales. Sur les marchés locaux, dans les boulangeries de quartier ou même dans certaines rôtisseries, l’odeur qui se dégage du comptoir peut être un signe distinctif.

Pour reconnaître un authentique sfincione bagherese, il est important de prêter attention à quelques détails : l’absence de tomates est le premier indice, suivie de la présence d’oignons en abondance, d’anchois bien répartis et de la typique mie aromatique en surface. La pâte doit être haute mais souple, avec une légère croûte en dessous.

Le déguster chaud est idéal : à ce moment-là, les saveurs se mélangent parfaitement et l’expérience est totale. Cependant, même froid, il conserve son équilibre gustatif, ce qui le rend idéal pour un pique-nique ou un déjeuner rapide.

Ces dernières années, la nécessité de protéger officiellement le sfincione bagherese en tant que produit traditionnel s ‘est fait sentir. Certaines associations locales, en collaboration avec les boulangers locaux, ont travaillé à l’élaboration d’un cahier des charges commun afin de définir ce qui distingue le sfincione authentique des imitations ou des versions non conformes.

L’objectif est d’obtenir une reconnaissance officielle, comme la marque « Produit traditionnel » ou la certification « Spécialité traditionnelle garantie ». Il s’agit non seulement d’une forme de protection commerciale, mais aussi d’une manière de valoriser le savoir artisanal et la mémoire collective liés à ce plat.

Pour le touriste curieux, déguster le sfincione bagherese est bien plus que manger un produit typique : c’est un petit voyage dans l’histoire, la culture et la vie quotidienne d’une communauté. C’est un exemple parfait de la façon dont, en Sicile, la nourriture est toujours porteuse d’histoires, d’identité et de passion.

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